L’accès à l’internet est un droit fondamental au Costa Rica depuis 2010. « Mais entre l‘écrit et l’action, il y a un monde! », s’exclame Kemly Camacho. La militante est plutôt bien placée pour le savoir, puisque depuis des années elle fait partie de Sulá Batsú, une coopérative qui cherche à aider les Costaricains à s’approprier les technologies de l’information et de la communication, particulièrement de l’internet. Zoom-avant sur l’accès à l’internet au Costa Rica et la nouvelle loi controversée sur la cybercriminalité… qui ne cesse de faire parler d’elle à l’international.
L’accès à l’internet, un droit théorique
Le CAFTA est un accord de libre échange qui lie depuis le 1er janvier 2009 le Costa Rica aux États-Unis et aux autres pays d’Amérique centrale. Cet accord dicte l’ouverture du secteur des télécommunications au ‘libre’ marché. Avant l’entrée en vigueur de cet accord, le Costa Rica développait son électricité, sa téléphonie et ses télécommunications en général à l’aide d’une entreprise d‘état, ce qui lui permettait d’atteindre des taux de pénétration importants (90% d’accès à l‘électricité, 80% d’accès à la téléphonie fixe). « Peu après la signature de l’accord de libre échange, l’accès à l’internet a été déclaré droit fondamental et la Présidente Laura Chinchilla a introduit un accord de solidarité numérique », se rappelle Camacho. Ces deux déclarations étaient sensées jouer un rôle de garde-fous, alors que le pays était soumis à la libéralisation de ses télécommunications.
À en croire Kemly Camacho, la solidarité numérique se fait toujours attendre. « Nous avons un fonds des télécommunications destiné à garantir l’accès de tous à l’internet. En réalité, Fonatel n’a pas encore commencé à travailler ». Pendant ce temps, la fracture numérique s’agrandit et le dernier rencensement national (2011) fait miroiter des chiffres de pénétration internet désolants. Seul 43,7% des Costaricains ont accès à l’internet. La plus grande fracture est entre les régions urbaines et rurales. « La téléphonie cellulaire s’est répandue plus rapidement, mais avec un niveau de service grandement variable selon le pouvoir d’achat qu’on a et la région dans laquelle on se trouve », ajoute Camacho.
Loi sur la cybercriminalité
L’un des plus grands changements législatifs touchant l’internet s’est pourtant manifesté tout récemment. Le 10 juillet dernier, la Présidente Chinchilla à signé une loi contre la cybercriminalité. Si cette loi met à jour des dossiers importants, dont les efforts pour enrayer la pornographie en ligne, les abus sexuels et les dangers pour les enfants, rarement une loi a t-elle mené à une aussi grande levée de boucliers. Au premier rang de la résistance? Le collège des journalistes. Au deuxième rang? Des associations civiles, blogueurs, journalistes indépendants et citoyens, ainsi que des universitaires.
Au-delà de la lutte au crime en ligne, la loi 9048 introduit dans le droit costaricain de nouveaux délits de nature criminelle. Andres Guadamuz (@tecnnollama), un universitaire connu pour le sérieux de ses recherches sur l’internet et chargé du projet Creative Commons au Costa Rica, fait un pas de plus. Il pose la question à savoir si cette loi ne serait pas la toute première loi anti-Wikileaks.
« L‘élément le plus controversé de la loi est la modification du type d’espionnage existant pour y inclure une dimension numérique », soutient Guadamuz. Cela a créé un grand émoi dans la presse locale et la blogosphère, qui y ont vu une atteinte à leur droit à la protection de sources, soit une atteinte à la liberté de presse et à la liberté d’expression. « Or, continue Guadamuz, je crois que les journalistes passent à côté de l’intention véritable derrière cette loi. Il y a une tentative évidente de vouloir criminaliser les fuites d’information à destination de sites de dénonciation comme Wikileaks ».
Il est vrai qu’au Costa Rica, « la régulation de la corruption, aussi petite soit-elle, était avant tout citoyenne », prétend Camacho. « Plusieurs utilisateurs de l’internet sont animés par un intérêt de dénoncer la corruption, surtout au sein des institutions publiques. Avec les TIC, ça s’est beaucoup répandu », explique t-elle dans un français impeccable. « Beaucoup d’enquêtes journalistiques ont été réalisées en utilisant des données numériques, des bases de données, des courriels interceptés. Cela a beaucoup fait bouger les choses. Une vingtaine de têtes très haut placées (autant du domain privé que public) ont jusqu‘à présent été dénoncées pour corruption grâce aux informations numériques. Elles sont présentement sous enquête », rappelle Camacho.
Ceci dit, comme le rapporte la journaliste Renata Avila dans un récent article paru dans Global Voices, « si la loi est affichée telle qu‘écrite pour l’instant, n’importe quel journal ou journaliste publiant des informations confidentielles (comme l’a fait le journal Costaricain La Nacion avec WikiLeaks) sera poursuivi et les activités courantes en ligne, tel que l’utilisation de surnoms, sera interdit.».
Si les mouvements sociaux sont très mobilisés, ce sera le collège des journalistes qui mènera la lutte à cette nouvelle loi a l’assemblée législative. Le collège espère réussir le tour de force d’insérer après-coup des amendements à la loi, afin d‘écarter les mesures les plus susceptibles de baillonner les enquêtes journalistiques et citoyennes. La cour constitutionnelle, dernier recours pour les citoyens, militants, journalistes et blogueurs, sera saisie de cette affaire dans les semaines à venir. À suivre.
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Global Voices : http://advocacy.globalvoicesonline.org/2012/07/20/costa-rica-cybercrime-...
La Nacion : http://www.nacion.com/2011-03-01/Investigacion/NotaPrincipal/Investigaci...
Cooperative Sulá Batsú : http://www.sulabatsu.com
Wikileaks : http://wikileaks.org/
Article sur la réforme incertaine en faveur de la liberté d’information : http://www.semanario.ucr.ac.cr/index.php/noticias/pais/6814-incierto-ca…